« Skin, c’est te montrer que ta peau vit et vibre toujours »

cecile et karine

(Karine rêvant de Cécile, Photo de Karine Zibaut)

Dans la foulée de mon billet de mardi – merci mille fois pour vos commentaires, non seulement ils me font chaud au coeur parce que l’écriture des « minute par minute » me prend beaucoup plus de temps qu’un post lambda, alors votre enthousiasme compte, mais surtout, j’avais très peur de heurter en riant autour d’un sujet qui est tout sauf drôle. Le fait que certaines d’entre vous, touchées par ce fucking crabe, aient fait preuve dans leurs mots d’un humour encore plus osé que le mien ou tout simplement de leur soulagement qu’on puisse en parler m’a vraiment rassurée. Bref, dans la foulée de mardi, donc – je suis la reine des ellipses et des apartés qui prennent deux plombes – je voulais vous parler de ce papier que j’ai écrit cet été pour Psychologies Magazine et qui est sorti dans le numéro d’octobre, dans les kiosques depuis hier.

Il s’agissait d’interviewer des « couples », trois artistes et trois modèles, investis dans un projet dénommé « Skin », visant à aider les femmes atteintes par un cancer du sein à se reconstruire par l’art. Un projet initié par Cécile Reboul-Cleach après qu’elle ait elle-même traversé cette épreuve. A la faveur d’une rencontre avec la photographe et vidéaste Karine Zibaut, elle a commencé à poser, à écrire, à réfléchir à la façon de faire naitre du beau de toute cette souffrance. Petit à petit, d’autres artistes se sont investis et d’autres femmes ont pris part à l’aventure. Au delà de cette très belle idée, ce qui m’a vraiment bouleversée lors des entretiens que j’ai menés avec ces six personnes, c’est l’humanité de chacune d’entre elles, leur volonté de s’extraire de la maladie, de revendiquer la nécessité de choisir le camp de la sublimation, du beau, dans toutes ses acceptations.

J’ai retenu de ces échanges qu’après les chimios, les opérations, la reconstruction, vient ce moment terriblement difficile où il faut « continuer ». Et que souvent, on se retrouve assez seule, parce que pour les autres, le plus dur a été fait et qu’on est censée aller de l’avant. Alors que, comme me le disait Cécile, « après la bataille, on compte ses blessures ». Des blessures qui peuvent être aussi visibles qu’une cicatrice ou plus silencieuses, comme la peur de ne plus être la même, ou de ne plus vouloir être la même, d’ailleurs. C’est dans ce processus qui consiste presque à se réinventer que la rencontre avec un ou une artiste peut être déterminante. L’idée de Skin est vraiment d’impliquer à la fois le modèle et le (ou la) peintre/sculpteur/photographe, etc. Il y a un principe d’interaction qui permet aussi de devenir acteur alors qu’on a subi, trop, les traitements, la peur, la fatigue.

Bref, vous l’aurez compris, écrire ces témoignages a été une expérience très forte. Cela m’a rappelé que ce qui me plait tant dans ce métier, ce sont les rencontres, avant toute chose. M’imprégner des vies des autres, entendre leur(s) histoire(s), essayer par mes mots de retranscrire ce vécu ou leurs pensées, m’attacher à ce que ces mots puissent être les leurs. Je vous invite à lire ce dossier dans Psycho pour entendre la parole de ces personnes magnifiques. Et aussi à venir voir ces oeuvres nées de ces rencontres, qui seront exposées à la mairie du 8ème arrondissement de Paris dès le 2 octobre prochain, dans le cadre d’octobre rose. Voilà, c’est tout je crois.

Ci-dessous, une de ces oeuvres, celle de Christophe Lambert (rien à voir avec l’acteur), qui a dessiné sur une robe sa compagne, après les traitements. J’adore cette robe et ce qu’elle raconte, toute l’admiration et l’amour que l’on y ressent.

SSRobe 10f(1)

30 comments sur “« Skin, c’est te montrer que ta peau vit et vibre toujours »”

  1. Marje a dit…

    Cette initiative semble originale et forte. J’ai envie de lire leurs témoignages et comprendre ce processus d’art-thérapie (?) … Merci de partager avec nous tes rencontres et tes coups de cœur !

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    • Desbeaumes a dit…

      Cela s’appelle bien l’art-thérapie! Je travaille en cancéro (radiothérapie) et toutes nos patientes enrôlées dans cette étude en sont vraiment ravies.
      Ma fille (jumelle d’un machin aussi) vient d’avoir un cancer de la langue et trouvait que beaucoup est fait pour les patientes atteintes d’un cancer du sein et pas forcément les autres, alors que la mutilation existe aussi…
      Et aux patientes qui exprime cette angoisse de se sentir abandonnées à la fin des traitements, j’ai toujours envie de dire ( mais ne le fais surtout pas!): « une fois tout le processus achevé, c’est là que tout commence… » Pour l’avoir vécu d’aussi prêt, mes pensées ont été confirmées, et ce n’est pas forcément positif. Alors si dans votre entourage vous connaissez quelqu’un/une atteint de cette maladie, ne le lâchez pas sous prétexte que les traitements sont finis…

      Et je voulais terminer par cette belle phrase trouvée au gré de mes lectures: « la maladie est un long voyage dont on ne revient pas: soit c’est la mort, soit c’est une nouvelle vie qui commence »…

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      • Caroline a dit…

        en l’occurrence, les instigateurs de Skin ne s’inscrivent pas dans un processus d’art-thérapie. L’idée n’est pas de « soigner », mais plutôt de « sublimer » ce qui est arrivé, il n’y a pas d’intention de soin ou de thérapie. Ce qui n’enlève rien à l’art-thérapie, qui est une démarche en soi et qui peut elle aussi accompagner, je crois.

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  2. Corinne (Couleur Café) a dit…

    Un très beau projet que j’admire ! C’est vrai, quand on voit une personne « guérie », on ne pense pas forcément à la blessure morale et psychologique qui est encore à vif, on la croit tout de suite sur ses pieds et aussi forte qu’avant. Ces témoignages nous informent mais également nous font prendre conscience de la réalité des choses.

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  3. SophieL a dit…

    L’idée est très belle. Ce sont des problématiques auxquelles je ne pense absolument pas pour le moment (à 24 ans, ça me parait si loin !), mais ce texte m’a beaucoup émue. Et surtout, ça m’a donné envie d’aller voir l’expo ! Merci pour ça !

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  4. anne de a dit…

    je vais chercher psychologies alors ce mois-ci.
    il y a aussi « the scar project », projet photo montrant des personnes ayant survecu a un cancer, dans leur corps meurtri, nu.

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  5. Blanche neige a dit…

    C’est vrai que je n’avais pas du tout imaginé que l’après puisse être aussi, voire, plus difficile que la maladie.
    Merci de m’avoir ouvert les yeux là-dessus.
    je vais de suite lire ces témoignages.

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  6. Alexandrine a dit…

    Bonjour Caroline,
    Je réagis avec un peu de retard à ton billet d’ hier et à celui-ci en même temps. Ton minute par minute d’hier la seule différence avec les précédents c’est que je n’ai pas pu le lire comme tel dans un premier temps. Je suis d’abord allée directement à la fin m’assurer que l’histoire se terminait bien, même si j’en conviens il était peu probable que dans le cas inverse tu en aies fait un minute par minute… mais je crois que j’ai perdu toute rationalité en la matière 😉 . Ensuite, j’ai repris la lecture pour savourer ta plume et comme d’habitude j’ai ri tout en sentant ta vraie trouille derrière l’humour.
    Cett trouille qui, effectivement nous unit, face à cette cochonnerie qui semble chaque jour nous toucher plus nombreuses et plus jeunes. Et si ton texte fait sortir des ordonnances des tiroirs ou aide certaines à ne plus procrastiner le rendez-vous chez le gynécologue, c’est la cerise sur la gâteau.

    Je vais de ce pas lire ton article dans Psychologies, un jour vers la fin de ma chimio, l’oncologue m’a tendu la carte d’une photographe qui effectuait des portraits de femmes à différents moments de leurs parcours. Je n’ai pas appelé et l’ai un peu regretté par la suite, mais je crois que j’étais alors dans une lutte solitaire (bien que très entourée) et que j’aurais eu l’impression de me fragiliser.
    J’essaierai aussi d’aller voir l’exposition. Merci encore pour tes mots, les légers les drôles et les autres.

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    • Caroline a dit…

      si jamais tu es encore dans cette démarche, Alexandrine, je crois qu’il y a moyen de voir ça avec Skin. Sur la page FB (j’ai mis un lien dans le billet) tu as les indications. Je crois que tout doit se faire au rythme qui convient à chacun, que ce qui « marche » sur l’une ne fonctionne pas sur l’autre. Quoi qu’il en soit merci pour ton si gentil commentaire.

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  7. malise a dit…

    Quelle magnifique initiative!!!! Je n’avais pas commenté pour votre « minute par minute » que j’avais trouvé très bien tourné et surtout extrêmement dédramatisant, ce qui fait toujours beaucoup de bien. Mais aujourd’hui j’ose ce petit mot pour vous dire merci de parler de tout cela de bien belle manière, en tout cas d’une manière qui me touche bien plus que certaines initiatives destinées à faire un buzz et dont je n’ai jamais compris l’intérêt. Encore merci!

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  8. Marouch a dit…

    Bonjour Caroline, j’ai adoré ton minute par minute et la justesse de tes propos, cet humour que tu manies si bien sur un sujet si douloureux. J’aime aussi ton honnêteté quand tu fais part de tes craintes de heurter en plaisantant sur ta trouille d’avoir un cancer du sein. C’est aussi important de dire que l’après-cancer n’est pas facile à vivre, qu’il faut se reconstruire seul(e) après avoir été l’objet de toutes les attentions, et qu’il faut faire bonne figure alors que c’est justement là qu’on a envie de s’effondrer…
    Belle journée à toi

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    • SmouikSmouik a dit…

      c’est beau ce soutien d’amazone… ainsi que toute action qui peut aider les femmes à réinvestir leur féminité.
      @Desbeaumes : je pense que c justement la féminité touchée qui fait du cancer du sein (et que quelques autres aussi) un « cas à part »… ce qui ne veut pas dire que les autres cancers sont moins invalidants ou mutilants, en interne ou externe…

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      • Desbeaumes a dit…

        Certes, vous avez raison… Mais certaines mutilations ne peuvent être cachées, comme peut l’être une mammectomie, lorsqu’on est habillée. Pour côtoyer chaque jour des personnes atteintes de diverses localisations, je peux vous assurer que la féminité ne se résume pas seulement à la poitrine et que la misère humaine est grande dans les centres de lutte contre le cancer.
        Il serait bien que les actions publiques et médicales ne soient pas toutes concentrées sur la même situation. Mais nous y travaillons chacun à notre niveau, chaque jour…

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  9. coralie a dit…

    je suis très émue par ce billet et cela m’a ramené au cancer de mon père, qui en est guéri depuis 1 ans mais qui continue à dire qu’il l’a… ce que j’avais du mal à comprendre.
    A ta lecture, je comprend mieux que la blessure laissée par cette maladie dure et que « l’après » est certainement très compliqué à gérer. Pour ceux qui ne connaissent pas la maladie, c’est souvent dur à comprendre et d’être en empathie…
    merci.

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  10. HeLN a dit…

    Merci Caroline de relayer cette belle initiative.
    Est-ce que je suis la seule a trouvé cependant que le nom du projet est assez mal choisi (bien que je comprenne parfaitement pourquoi le projet s’appelle ainsi) ?
    Pour moi « Skin » évoque irrémédiablement « skinhead », et donc ce mot a pour moi – utilisé dans une conversation en français – une connotation péjorative et définitivement désagréable…
    Mais peut-être que ce n’est pas important après tout ?

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  11. Véro Bisontine a dit…

    Moi aussi je pense à ma maman qui a eu un cancer en 2009 (lymphome) et qui une fois sortie d’affaire (en juin 2010), a plongé dans la dépression, dont elle n’est toujours pas sortie.
    Nous (l’entourage proche) n’avons pas compris ce qui lui arrivait, les résultats sanguins étaient bons, elle ne pouvait qu’exulter et savourer cette sortie du tunnel.
    Ben non.
    Elle a eu tellement peur, a tellement gardé pour elle toute cette angoisse, qu’elle s’est autorisée à l’exprimer (malgré elle), une fois les bons résultats sortis.
    Alors oui, le combat contre le cancer a donné de bons résultats; néanmoins il laisse des séquelles, d’autant plus quand la vieillesse (et fatalement l’apparition de limites) se révèle encore plus présente.
    Je suis archi favorable à l’accompagnement des malades durant leur parcours du combattant, sous quelque forme que ce soit, tout dépend de leurs sensibilités et leurs goûts.
    Et je pense aussi aux accompagnants, car souvent oubliés dans ces histoires, pourtant je peux vous dire que l’on morfle sérieusement, pendant et même après.

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  12. Marie a dit…

    Bonsoir Caroline,
    je te lis chaque jour et hier quand j’ai lu ton minute par minute j’ai fermé la page au bout de quelques lignes, j »ai su de quoi tu parlais, cette peur et je t’en ai presque voulu d’aborder ce sujet légèrement. Pourtant je sais combien tu n’es pas légère, je te lis depuis les débuts de ton blog, je sais à quel point tu es sensible et on est jamais trop sensible.
    Je te remercie de parler (et de bien en parler surtout) de sujets qui nous touchent, de jolies chaussures et de nos enfants, de la vie. De gros bisous !

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