Mois : janvier 2006

Le nutritionniste agressif

Il y a le nutritionniste agressif. Apparemment, il est convaincu que les gros ne le sont que par manque de volonté. Il commence à te jauger lorsque tu entres dans son cabinet. Son œil expert lui indique immédiatement ton poids et il ne se prive pas de soupirer ostensiblement quand tu te présentes devant lui en culotte et soutien gorge. Sans un mot il te montre la balance. Tu montes dessus de mauvaise grâce et sans surprise, tu apprends que tu pèses au bas mot deux ou trois kilos de plus que chez toi. Il le fait exprès, il leste sa machine. Parce que là, ça y’est, tu en es sûre, cet homme, qui peut être une femme, t’en veut personnellement. Tu en ignores la raison. Peut-être a-t-il juste juré d’humilier une grosse chaque jour de son existence, ce à quoi il s’emploie avec une efficacité redoutable.

 

Après un calcul trivial, il t’annonce sans ciller que pour atteindre ton poids de forme tu dois perdre au bas mot 15 kilos. Pour y arriver il va falloir éliminer le gras, le sucre et les féculents. Ils te suggère également, narquois, le sport, au moins deux fois par semaine. Et devant ton air désespéré, ils te prévient : si tu ne maigris pas tout de suite, à 50 ans tu pèseras 90 kilos et de toutes façons, tu seras déjà morte, noyée dans ton cholestérol. Quand tu sors de son cabinet, tu es tellement angoissée que tu te rues dans la première boulangerie. Ensuite, tu pleures. Beaucoup. Tu essaies tout de même de te tenir à la discipline de fer qu’il t’a infligée. Les premières semaines sont enivrantes : tu perds – forcément, tu t’affames – il te félicite et soupire un peu moins en te regardant. Mais passés les cinq premiers kilos, ça devient plus difficile. Sans compter que tu es amincie, mais totalement déprimée. Alors un beau jour tu craques et tu finis par reprendre les cinq kilos, voire deux ou trois de plus. Le fameux effet yoyo dont parlent les magazines pour femmes minces. Tu ne revois plus jamais cet être abject.

L’adepte du nouvel équilibre alimentaire

Lui ne te parle pas en kilos mais en IMC (Indice de masse corporelle), et rapport masse maigre/masse grasse. Tu n’y comprends absolument rien, mais c’est moins déprimant que les 15 kilos à perdre. Cela dit, une fois que tu sais que tu es composée à 45% de matière grasse, tu te dis que c’est plus que le camembert et que c’est sûrement trop. L’adepte du nouvel équilibre alimentaire t’explique que tu ne seras jamais mince – ah ? – et que l’objectif est de réapprendre à manger – pourtant tu pensais que manger tu savais bien le faire -, en se faisant plaisir et en stabilisant son poids. Donc là, tu ne dois plus perdre 15 kilos, mais plutôt arrêter d’en prendre.

Le problème, c’est qu’au final, tu te retrouves tout de même avec un régime – enfin, un nouvel équilibre alimentaire – sans gras et sans sucre. La nouveauté vient plutôt du maintien des féculents. Le résultat est peu concluant : les premiers temps, tu te tiens à ce qu’on t’a dit, mais petit à petit, tu ne manges plus que du pain – autorisé, certes, mais théoriquement en quantité restreinte – et la perte de poids est en effet anecdotique, de l’ordre d’un kilos en un mois, et encore. Malgré tout, tu es contente et fière de toi, puisque l’objectif était de « stabiliser ». Hélas, le gourou de l’équilibre alimentaire, lui, ne te félicite pas : tu as réussi, tout en perdant du poids, à passer à 50% de masse grasse. Tu ne sais pas comment c’est possible, d’ailleurs lui non plus.

Tu continues quelques mois à suivre les conseils qu’il te prodigue à chaque séance : cuire le poisson en papillote, remplacer l’huile par des herbes aromatiques ( ?), cuisiner les lasagnes sans pâtes, avec, à la place, des lamelles de courgettes (…), éliminer les carottes râpées, qui sont – si si !– de dangereux « pièges à gras », etc. Tu finis par rêver que tu te noies dans du gaspacho au jus de citron (pour remplacer l’huile). Plus personne ne veut venir manger chez toi. Lassée, tu espaces les visites et finis par ne jamais le revoir.

Monsieur Protéines

« Monsieur protéines » promet la minceur éternelle, en réalité il deale de l’obésité. Il n’a jamais étudié la nutrition. Généraliste de son état, il a flairé le filon et n’accueille plus que des femmes qui veulent maigrir. La salle d’attente en est d’ailleurs bondée. Curieux théâtre que cette antichambre de la minceur. Celles qui ont déjà fondu regardent les autres avec la hargne des vainqueurs. Elles éprouvent du dégoût pour cette graisse que leurs voisines n’ont pas encore perdu. De la peur aussi, à l’idée de ressembler à nouveau à ça. Quand aux « nouvelles », elles ne sont que concupiscence et envie devant les corps décharnés de leurs sœurs de régime. Elles reconnaissent dans cette maigreur toute neuve les vestiges d’un embonpoint à jamais renié. Une grosse qui a maigri ne ressemblera jamais à une vraie mince de nature. Le visage est creusé, les yeux cernés, devenus comme trop grands. Sous le menton, un surplus de peau pendouille. Le ventre n’est pas plat. Le contenu a fondu, mais l’enveloppe, flasque, reste. La nouvelle mince n’est en réalité qu’une pauvre carcasse vidée de sa substance.

 

La consultation chez « monsieur protéines » dure très peu de temps. De toutes façons, tout est expliqué sur le formulaire de commande des sachets que tu te dois d’acheter dans cette marque là et pas une autre. Il ne touche bien évidemment « aucune commission » sur les sachets achetés, mais il te met vivement en garde contre les autres marques, « bien moins sérieuses et souvent moins riches en protéines ». Il n’hésitera pas, quelques mois plus tard, à te recommander la marque qu’il avait dénigrée précédemment. Et son récent séjour dans un hôtel de luxe aux Antilles tous frais payés n’a rien à voir avec ce changement d’attitude… Hormis la prise de sang obligatoire en début de traitement, monsieur protéine n’a que faire de tes antécédents ou de tes états d’âme. S’il te voit au début toutes les semaines, c’est pour te « prescrire » de nouvelles poudres miraculeuses et encaisser au passage une consultation plus que rentable. Un petit tour sur la balance, un formulaire et hop, au suivant. Tous les effets secondaires de ces horribles sachets et des vitamines de substitution, il les ignore et ne veut pas entendre parler. Il se réjouit que tu fondes et ne s’inquiète pas de tes chutes de tension. Et quand un an après la cure, tu reviens, plus grosse que jamais, il n’hésite pas à te conseiller une nouvelle marque de sachets miraculeux. Ne reviens jamais, petite sœur. Ton corps que tu affames se vengera, c’est sûr. Il n’en finira plus d’enfler aux moindres écarts qui suivront les mois de privation. Aucun 38 au monde, aucune culotte tanga, aucune nuisette ne valent les nausées provoquées par cet arrière goût amer que te laissent toutes ces nourritures synthétiques, dont tu apprendras, c’est sûr, dans quelques années, qu’elles étaient dangereuses et nocives. Si on découvre un jour le cancer du sachet protéiné, je tomberai parmi les premières. Sauf si d’ici là, le coca-light m’a tuée.

Lui et Moi, dialogue dans un magasin…

 

– j’ai grossi, hein ?
Non, je ne trouve pas
– Tu ne trouves pas que j’ai grossi ?
Non, je t’assure, tu es très bien.
– ce pantalon, il ne me grossit pas un peu ?
Non, il te va très bien.
– Cette couleur, ça me grossit, je trouve. Je devrais m’habiller tout le temps en noir. Le noir, ça mincit.
non, le rose te va bien, vraiment.
– Je ne sais pas pourquoi je suis entrée dans ce magasin, rien ne me va, de toutes façons, je suis énorme.
Mais non, regarde, ce petit haut, je suis sûr qu’il te va.
– Putain, tu comprends rien ou quoi ? je n’ai pas besoin d’un tee-shirt, j’en ai des dizaines. C’est un pantalon que je veux.
– Ne t’énerves pas, moi je disais ça pour t’aider.
– je ne m’énerve pas. C’est juste que je suis affreuse. Obèse. Je ne sais pas comment tu fais pour rester avec moi.
Arrêtes.
– Tu trouves que j’ai grossi, hein ?
Non, je te dis.
– Menteur. J’ai besoin que tu me dises la vérité. Si tu ne dis rien uniquement pour ne pas me blesser, saches que ça me blesse encore plus. Alors. Dis-le.
Quoi !
– Que j’ai grossi.
– Peut-être un tout petit peu, mais à peine.
– Ah ! Tu vois ! Comme ça, au moins, c’est clair.
– ça y est
– ça y est quoi ? Je ne vais pas te dire que ça me fait plaisir tout de même. En plus, c’est peut-être pas le moment le plus approprié, là, dans ce magasin, pour me le dire. Je te remercie, j’avais le moral à zéro, on peut dire que là, je suis carrément désespérée

La cabine

l y a des périodes où il m’est impossible d’entrer. Le simple fait de regarder les vitrines est douloureux. Et puis il y a les jours fastes, quand l’aiguille hésite et passe en dessous du poids maximum. Alors je me risque parfois à franchir le pas de la porte. Je m’arrange pour passer derrière une autre, en espérant qu’Elle ne me verra pas. Elle, la vendeuse. Redoutée, jalousée, souvent haïe. Elle est tour à tour méprisante, condescendante, presque insultante parfois. Rarement gentille. Pourtant je ne lui demande que ça, moi. Un sourire, même désolé, me suffirait. Elle mesure souvent plus d’1m70 et n’a jamais prié pour que l’aiguille de sa balance ne passe pas au dessus du maudit chiffre. Elle déambule telle un chat dans son territoire, jaugeant la clientèle, choisissant celles qu’elle adoubera, avec lesquelles elle se fera cajoleuse, et flatteuse. Avec elle, les girondes, grosses ou enveloppées n’ont aucune chance. Elles peuvent espérer l’indifférence ou redouter son jugement définitif : « désolée, nous n’avons pas votre taille ». Le portrait est rapide. Mais voilà, selon moi, l’univers féminin se partage en deux : les grosses et les autres. Enfin, parfois je suis plus subtile. Mais jamais quand je suis dans le saint des saints, la boutique de fringues.

 

A l’intérieur, je regarde les habits. Enfin, pas vraiment. Les tailles. 42, 44, parfois 46. Si je suis seule, si elle ne me regarde pas, et si l’humeur est favorable, alors je sélectionne deux trois choses et je pars le plus discrètement possible en cabine. L’envie d’être invisible est forte. Mais quand on est grosse, on n’est pas invisible. L’empressement me rend plutôt maladroite. En me faufilant entre les rayons, j’accroche un ou deux cintres et des vêtements en tombent bruyamment. C’est à cet instant qu’elle intervient, l’air pincé, ostensiblement inquiète pour le pantalon que je m’apprête à essayer.

 

– Je peux vous aider ? – Non, merci, je regarde, euh… je vais essayer un ou deux trucs – Je vois. N’hésitez pas à me demander, si la taille ne va pas. – Oui, oui, d’accord, merci, je… je…

 

Le processus est en marche. J’oublie que j’ai plus de trente ans et que je ne suis coupable de rien. Je me transforme en une pauvre petite fille balbutiante, confuse et honteuse d’avoir osé entrer. J’ai dix ans, peut-être moins, et je me retrouve avec ma mère, dans un autre magasin, avec les mêmes angoisses. Souvent, à ce moment là, je décide d’acheter ce pantalon ou autre vêtement sans même l’avoir essayé, juste pour partir le plus vite possible. En payant, je guette un signe de reconnaissance. Mais Elle ne me le donne pas. Jusqu’au bout, je suis une intruse. Elle sait que je ne le mettrai pas, et je crois l’entendre rire avec ses collègues.

 


Parfois, armée d’un peu plus de courage, je pénètre dans la cabine, en priant pour qu’une glace s’y trouve. Sinon, il faut sortir et s’exposer à ses regards ou ceux des clientes légitimes, les minces. Je me déshabille et je commence à sentir les premiers signes de détresse. Ici, tout est plus blanc, tout est plus gros. Les cabines les pires sont celles entièrement tapissées de miroirs. On peut y vérifier qu’on est grosse de face, mais aussi de dos. Et de côté.

 

Je commence à enfiler le pantalon. Si je le ferme, le plus souvent, je ne cherche même pas à savoir s’il me va bien. Je me rhabille et je l’achète. Il sera toujours temps de se demander s’il est beau. Et puis de toutes façons, un pantalon en taille 44, est-ce vraiment fait pour être beau ?

 

Mais la plupart du temps, ça commence à coincer au niveau des genoux. Chaque seconde qui passe, chaque centimètre gagné est alors une lutte perdue d’avance contre la graisse. Je sais, c’est indécent de souffrir pour ça. Pourtant, la douleur est réelle.

 


Petite, dans les cabines d’essayage, ma mère tirait toujours le rideau avant que j’aie fini de m’habiller. Tout le monde pouvait alors me contempler, boulotte et cramoisie, la jupe baissée et la chemise étriquée – « on n’a pas plus grand », lançait alors la vendeuse à ma mère, dont la gène et la honte me sautaient à la gorge. Aujourd’hui, elle ne vient plus avec moi, dieu merci, mais je suis toujours aussi cramoisie dans ma cabine. Et les larmes coulent silencieusement, lorsque je dois me rendre à l’évidence : il manque dix bons centimètres pour que le bouton rejoigne sa boutonnière. Alors je repars aussi vite que je suis entrée, ravalant mon chagrin. Il y a deux mondes, celui des minces et celui des grosses. C’est indécent, superficiel, indigne d’une fille plutôt pas idiote d’en être convaincue. Mais c’est bien mon intime conviction, depuis que je suis en âge de voir mon reflet dans une glace.

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