Mois : janvier 2012

Deux trois choses de plus

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Difficile de reprendre la plume, tant vos réactions hier m'ont touchée et accompagnée toute la journée. Le billet a eu un écho que je n'avais pas anticipé, ce dont je ne me plains pas mais qui me fait presque un peu peur. Je veux dire, je ne suis porte parole que de moi, je n'ai pas la science infuse et pour les connaissances réelles sur le sujet, mieux vaut aller voir du côté des docteurs Zermati et Apfeldorfer.

Par ailleurs, ce que je n'ai pas écrit hier parce que ça va de soi pour moi, c'est que d'une manière générale, malgré tout, je fais partie des chanceuses et privilégiées, dont l'enfance et les années qui ont suivi ont été… heureuses. Parce que oui, on peut être en surpoids une grande partie de sa vie tout en réalisant bon nombre de ses aspirations. Si mes kilos m'ont bouffé la tête jusqu'il y a peu, il ne m'ont pas empêchée de suivre les études que je souhaitais, d'exercer le métier dont je rêvais et de rencontrer l'homme parfait, qui s'est toujours foutu de mon tour de taille.

Peut-être aussi qu'avoir été ronde, l'être encore un peu aujourd'hui – j'ai certes maigri mais je reste… moelleuse – a finalement été un fardeau fertile. Je veux dire par là que j'ai compris très tôt que je n'obtiendrais pas forcément l'attention en clignant des yeux comme certaines des filles que je cotoyais. D'où un certain sens de la répartie acquis assez jeune, pour me défendre, pour faire rire, pour séduire. Je ne serais pas celle que je suis aujourd'hui si mère nature n'avait pas été un peu bourrée au moment de la distribution d'adipocytes. Je serais peut-être tout aussi heureuse, ou plus, ou pas, je l'ignore en réalité. Je sais juste que je me suis construite avec cette idée selon laquelle il faudrait peut-être parfois me battre pour faire ma place. Parce que sans tomber dans le misérabilisme ou le pathos, clairement la vie est un peu moins aisée pour ceux qui sortent du moule. Mais elle l'est encore moins pour les malades, les désargentés, etc etc, donc même si parfois l'auto-apitoiement peut être jouissif – et j'en connais un rayon – il faut admettre qu'avoir les cuisses qui se touchent n'est pas ce qu'on appelle un handicap majeur.

Alors bien sûr j'ai parfois rêvé de n'être pas que celle qui faisait marrer les garçons mais en même temps, avec un peu de recul, ça m'a donné une sacrée pêche, ces années de déconnade. Et aussi des amis à vie. Si ça se trouve, j'aurais été une bombe, j'aurais été aussi bavarde qu'un horodateur. Et je suis convaincue que mes copains d'aujourd'hui s'en plaindraient. Ou pas, remarquez.

Bref, je suis loin d'être cosette, je suis loin d'être parfaite aussi, je suis une teigne à mes heures, mauvaise langue et perfide plus souvent qu'à mon tour. Donc même si j'adore être adorée, je crains de n'être pas toujours à la hauteur de votre considération.

Aussi, surtout, cette bienveillance dont je parlais hier, mes parents l'ont toujours eue à mon égard. Je ne dis pas que mes galères de poids n'ont pas plombé ma mère et qu'elle n'aurait pas préféré éviter les psychodrames dans les cabines d'essayage où à 14 ans j'étais serrée dans le 42. Mais dans ses yeux, dans ceux de mon père, je me suis toujours sentie belle. Et c'est là où je voulais en venir. Hier dans les commentaires, l'une d'entre vous a listé ce que devaient absolument faire les parents pour que leurs enfants ne prennent pas de poids. J'avoue ne pas être hyper d'accord avec les principes énoncés, mais ça n'est pas le propos. Je crois personnellement que le plus important, le plus fondamental, n'est pas de rationner les chips ou d'interdire les grignotages mais bien de rassurer ses enfants quant au fait que même obèses nous continuerions à les aimer. Il faut aussi éviter je crois de valoriser la minceur de nos filles et de les fliquer à chaque écart observé. Et j'écris ces mots en ayant totalement conscience d'être moyennement capable de respecter ce dernier point. Mais je sens que la clé est là. En tant que ronde ou ancienne ronde, j'ai évidemment peur que mes filles suivent mes traces. Officiellement parce que je ne veux pas qu'elles souffrent. En réalité, je sais bien qu'une part de moi a surtout envie d'être vengée, voire valorisée à travers leur sveltesse. Et cette part là de moi, croyez bien que je ne l'aime pas beaucoup…

Demain on parlera de mon manteau. Parce que c'est important aussi. 

Ah et parait donc que mon billet d'hier – enfin, un extrait – a été lu sur Europe 1 à Dukan. Réaction de ce dernier: on n'a pas compris ce qu'il voulait dire. Tout ce qu'il veut lui c'est recréer du lien familial, par exemple en incitant les adolescents à aller au marché avec leur maman. On a vraiment une pierre à la place du coeur, je vois que ça.

Lettre à monsieur Dukan d’une fille qui tirait sur ses pulls

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J'avais prévu d'écrire une lettre ouverte à ce monsieur Dukan qui a réussi à se faire une pub d'enfer à pas cher en glissant une proposition bidon et dangereuse dans son livre à paraître. D'aucuns dénonceront l'instinct grégaire des médias qui ne mettent pas cinq minutes à se jeter comme la misère sur le bas clergé sur la première ineptie proférée par un homme dont on ne sait même pas vraiment d'où il tient son titre ronflant de nutritionniste. En même temps, difficile de se taire devant tant de bêtise et le panneau, je tombe dedans aussi, évidemment. Mais comme je ne souhaite même pas m'abaisser à expliquer pourquoi je trouve consternante cette proposition de donner des points supplémentaires au bac aux jeunes qui correspondraient aux canons de l'IMC politiquement correct, je vais plutôt vous raconter une histoire.

(un peu longue, je préviens ceux qui seraient pressés, ne cliquez pas sur lire la suite)

Celle d'une petite fille qui aux alentours de 13 ans s'est mise à grossir. Elle n'avait jamais été très mince, mais les hormones aidant et tout un autre tas de facteurs qu'elle a fini par identifier des années plus tard, les kilos se sont envolés à un âge où la dernière chose qu'on souhaite est de se faire appeler la grosse. A l'occasion d'une visite chez son pédiatre, ce dernier, très à cheval sur ces choses là – un précurseur probablement – l'a vertement sermonnée. Ça n'était pas possible, il fallait absolument prendre les choses en main, arrêter de manger autant, enfin madame, surveillez-la, et vous jeune fille, un peu de VOLONTE que diable.

En sortant, elle a pleuré, elle s'en souvient. Et le soir même, elle s'est mise à jeuner, appliquant à la lettre le régime qui à l'époque faisait rage et qui tenait son nom d'un chef cuisinier, monsieur Oliver. Avec le recul, elle aurait du se méfier. Il n'empêche qu'à force de manger scrupuleusement du fromage blanc sous l'oeil légèrement inquiet de sa maman, elle a commencé à maigrir. Beaucoup et vite. A 13 ans, il ne faut pas bien longtemps pour fondre. Problème: elle était fatiguée. Très. Tellement fatiguée qu'elle a été prise de vertiges en classe. Le pédiatre, en la voyant arriver amaigrie et chancelante, l'a à nouveau engueulée. On ne s'était pas compris, lui a-t-il expliqué, moins manger ne signifiait pas faire la grève de la faim, et puis ce régime était idiot, il fallait juste faire un peu attention. Comment, pourquoi, ça il préférait qu'elle le trouve toute seule, hein. Mais ça tenait en un mot la fameuse VOLONTÉ. En attendant, c'en était fini de ces imprudences, à la poubelle monsieur Oliver.

Sauf que c'était trop tard. Le ver avait été mis dans le fruit. La petite fille, avec la bénédiction pensait-elle de son censeur, s'est jetée sur tous les gâteaux dont elle s'était privée les semaines passées. Et même un peu plus, au cas où. C'est ce au cas où probablement dont elle n'a par la suite jamais su se débarrasser. Au cas où un autre médecin lui intimerait l'ordre de maigrir à nouveau, au cas où y'aurait la guerre, au cas où elle soit prise à nouveau de vertiges.

Au fil des ans, la petite fille a grandi, beaucoup grossi, parfois maigri. Elle ne s'est bien sûr pas arrêtée à ce premier régime, les enchainant avec enthousiasme et espoirs insensés. Certaines diètes ont marché, d'autres moins. Une année, alors qu'elle terminait ses études, elle a carrément arrêté de manger ou presque. Moins vingt kilos et l'impression étrange et euphorisante qu'elle allait disparaitre. Dix mois plus tard, elle en avait repris 25 et ainsi de suite. Dans les années 90, elle a découvert les sachets protéinés. Ahhh, les sachets. Ces pancakes en poudre au goût métallique, ces "pudding" à la vanille platreux et laxatifs. Et la phase de sta-bi-li-sa-tion. Qui ressemblait à s'y méprendre au régime Dukan, avec viande et protéines animales à tous les étages et gros contrôle sur les légumes sucrés type carottes et haricots verts. Le mal, les carottes. A nouveau, jackpot, moins 15 kilos. Et l'apparition de l'obsession. Du poids, des hanches qui saillent, de l'en-cas protéiné qu'on mangera dans deux heures, putain c'est long deux heures. Et non, je ne veux pas aller bouffer chez truc, elle va encore faire des lasagnes, tu sais bien que je déteste ça. Enfin, j'adore ça, mais ça revient au même, on se comprend. Oui, je fume deux paquets par jour, mais essaie, toi, de ne bouffer qu'un quart de pomme en dessert et dis-moi ce que ça te fait. Je suis heureuse, je mets du 38, mais je ne pense plus qu'à ça et j'ai l'haleine qui pue l'acétone à 20 kilomètres. Je suis géniale en même temps, non mais tu en connais des qui ont une volonté pareille ? Je suis une merde, oui, j'ai craqué, j'ai mangé une carotte. J'en pouvais plus des poivrons. Je ne suis pas folle tu sais ? Tu m'aimes encore ? Comment fais-tu ? Non je ne tire pas sur mon pull. C'est sur mon ventre, que je tire, en réalité, mais il est toujours là, ce con.

Et puis cette impression impossible à chasser que de toutes façons, il y aurait toujours des kilos à perdre, encore plus, encore mieux. Et les contrôles de ce médecin, pignon sur rue place de la Madeleine, des consultations à 120 euros pour monter sur la balance, prendre vaguement une tension et soupirer qu'elle aurait déjà du passer sous les 55, là. Tout juste s'il a cillé quand elle lui a annoncé son envie de faire un enfant.

Une envie qui lui a probablement sauvé, sinon la vie, au moins son couple et sa raison, réalise-t-elle aujourd'hui. Parce que dans ce corps qui ne lui semblait pourtant pouvoir accueillir personne tant elle s'était mise à le haïr année après année, deux bébés ont décidé un jour d'automne de s'installer et de grandir. Des bébés qui avaient besoin, lui assura sa gynéco merveilleuse, de carottes, de haricots verts, mais aussi de riz au lait, de chocolat et de tout aliment dont elle avait envie. Et l'envie, elle n'avait que ça. Tant et si bien qu'elle n'a jamais su combien de kilos elle avait amassés durant ces sept mois de grossesse. Elle s'est arrêtée de compter à 30. 

Après ça, la petite fille devenue maman n'a plus jamais cédé aux sirènes des sachets ou autres régimes vantés dans les magazines. Elle a malgré tout erré longtemps encore de nutritionnistes en nutritionnistes, espérant tomber un jour sur celui qui trouverait les mots et lui expliquerait comment en finir avec tout ça. Maigrir, elle n'y croyait plus vraiment, arrêter de grossir déjà serait bien. Mais hors de question de recommencer à se priver, hors de question de peser les aliments ou d'accepter ne serait-ce qu'une fois qu'une bonne femme hystérique mesure ses cuisses semaine après semaine pour voir si elles étaient ou non "gorgées de flotte". Ne plus jamais entendre qu'à Auschwitz il n'y avait pas de gros. 

Un beau jour, à l'aube de ses 40 ans, elle a fini par toquer à la porte de celui qui non seulement ne la pèserait jamais, ne lui promettrait jamais une quelconque perte et ne lui interdirait plus rien, mais qui, cerise sur le gâteau, parviendrait à lui faire perdre plus de poids que tous les régimes déjà essayés. En lui parlant de la faim, des émotions, de la satiété, de la nécessité d'être pleinement consciente de ce qu'elle mange, quand elle le mange. Deux ans plus tard, elle vient de passer une semaine entre amis à manger un peu plus que de raison. Prétendre qu'elle ne s'est pas dit deux ou trois fois qu'elle allait le payer cher serait mentir. Dire qu'elle n'a pas peur que tout ça recommence, que les kilos reviennent pendant la nuit serait là encore malhonnête. Mais jour après jour, mois après mois, elle se surprend à y croire. Peut-être est-elle sortie de ce cercle infernal. Peut-être n'aura-t-elle plus jamais à passer par là. 

Voilà, monsieur Dukan. Vous et vos disciples, vous et vos préceptes ineptes avez failli me faire basculer de l'autre côté. Celui dont on ne revient jamais parce qu'un jour le corps ne peut plus faire machine arrière. Parce que j'ai cru, très jeune, qu'être mince était l'alpha et l'omega du bonheur. Parce que croyant à vos chimères, j'ai fini par m'oublier. Tenter de corréler sveltesse et réussite au bac est la dernière étape d'un long travail de sape entrepris depuis des années consistant à faire penser que les gros ne sont que des larves sans volonté, indignes de notre société si performante. Et ce faisant, on fabrique, jour après jour, de plus en plus d'obèses, tellement angoissés à l'idée d'incarner justement ces valeurs contraires à la croissance qu'ils n'en finissent plus de manger pour se réconforter.

Je suis convaincue qu'il suffirait déjà de ne plus cultiver ce dégout des capitons pour que l'obésité cède du terrain. Mais ça ne fait pas vendre, cette théorie. C'est compliqué, un peu tiré par les cheveux, presque louche. Pourtant, ce que j'ai retenu du docteur Zermati, celui par qui l'équilibre, non pas alimentaire mais l'équilibre tout court est arrivé, c'est ce qu'il m'a dit lors d'une de mes dernières séances avec lui: "Vous irez vraiment bien lorsque vous poserez un regard bienveillant sur les personnes en surpoids que vous croisez tous les jours". Ce regard bienveillant je m'efforce de le poser désormais, parce que ces personnes là sont toutes un peu mes soeurs. Je suis elles pour toujours, je l'ai été et le serai peut-être à nouveau, parce que parfois, la vie fait que. Et cela n'enlèvera rien à ma qualité d'être humain. Je crois que c'est probablement cela qui devrait ajouter des points au bac. Mais ça n'est hélas, pas gagné.

Là où se dit à nouveau bonne année

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Hier je relisais le billet posté l’année dernière à la veille du nouvel an. J’y écrivais que ma seule résolution serait d’oser, ce qui pour moi représentait un défi considérable. Deux jours plus tard, je frappais à la porte de mon chef et lui annonçais tremblante et plus émue que je ne l’avais anticipé, que je souhaitais reprendre ma liberté.

Je ne vais pas vous refaire le film, je crois m’être considérablement épanchée ces derniers mois sur cette petite révolution que cette décision a provoqué dans ma vie. Mais je crois que c’était la première fois de mon existence que je tenais une résolution. Autant vous dire que cette année, je préfère ne pas en prendre, il ne faudrait pas non plus qu’il me vienne à l’esprit de me fixer des objectifs insensés que je me sentirais ensuite obligée d’honorer. Genre courrir tous les matins ou repasser mes soutien-gorges. En lire plus »