Vol de nuit – premier épisode

avion

Hier, j'étais à Turin. En Italie. ça n'a l'air de rien comme ça mais il faut savoir qu'outre ma petite tendance à la compulsion alimentaire et ma très très légère hypocondrie, je suis frappée d'un autre mal: la phobie de l'avion. Autant dire que le moindre déplacement se transforme en épopée pathétique… Je vous raconte ?

MARDI

-14h: Mon patron arrive dans mon bureau, l'air très content de lui. Je connais ce sourire, j'ai peur.

– 14h01: "Tu pars demain à Turin jusqu'à jeudi. Génial hein ?!"

– 14h02: C'est vrai que c'est génial. Je suis une vraie baroudeuse, j'adore l'image de moi même que ça donne: "Mercredi, un ciné ? Ah, non, excuse, je suis à Turin, mercredi". En plus j'adore l'Italie. Les Italiens aussi. De toutes façons, je suis comme ça moi, je ne tiens pas en place. La vie de bureau non merci.

– 14h03: Je demande à mon patron si je pars de la gare de Lyon ou d'Austerlitz. C'est pour m'organiser.

– 14h04: Je pars de Roissy.

– 14h05: J'ignorais qu'il y avait des TGV qui partaient de Roissy pour l'Italie.

– 14h06: C'est pas un TGV c'est un Boeing, se marre mon patron.

– 14h07: Je vais prendre l'avion.

– 14h08: Mes enfants sont trop jeunes pour perdre leur mère. Tout ça pour aller en Italie. Alors que tout le monde sait bien que l'Italien est un voleur. Y'a qu'à voir la coupe du monde.

– 14h10: Je tente le coup du rendez-vous chez le dentiste impossible à reporter. Sans compter que j'ai des dossiers en retard. Mon patron n'a plus l'air content de lui. Encore moins de moi. Je fais genre que je rigolais.

– 14h15: J'appelle l'homme pour l'avertir que je pars à Turin demain. En avion.

– 14h16: L'homme trouve ça super.

– 14h17: Je lui raccroche au nez, je n'y crois pas qu'il puisse trouver super que je risque ma vie.

– 20h00: Je suis prostrée sur mon canapé, je regarde mon appartement avec la détresse d'une condamnée à mort.

– 20h10: Je demande pardon à l'homme de lui infliger une vie pareille. Je lui promets que si je m'en sors je démissionne. Quand on devient mère on ne peut plus se permettre d'avoir un métier aussi dangereux.

– 20h11: L'homme pense que documentaliste n'est pas un métier dangereux.

– 20h12: Le pauvre. Il fait tout pour cacher sa douleur. Je prends une vraie claque, là. S'il devait partir demain à l'autre bout de la planète, je ne suis pas sûre que j'aurais sa dignité.

– 20h13: L'homme me demande de faire le chèque pour le loyer.

– 20h14: Je trouve ça assez mesquin de penser à des choses aussi petites alors que c'est peut-être la dernière nuit que nous passons ensemble. En même temps je dois penser aux enfants. Ils n'auront peut-être plus de mère, la moindre des choses c'est que je leur assure un toit.

– 20h15: L'homme m'assure que ça n'a rien à voir avec Turin, c'est juste qu'on a deux semaines de retard pour le loyer et qu'on va payer une majoration.

– 20h16: C'est fou comme tout semble dérisoire quand on va mourir. Je lui fais son chèque quand même. Je sens une grande sagesse s'emparer de moi. Je suis complètement détachée des contingences matérielles.

– 20h20: L'homme me rappelle que c'est mon tour de lave-vaisselle.

– 20h22: C'est lui qui a raison. La vie continue. Il est d'un courage, je suis bluffée. J'espère malgré tout que quand on est mort on ne vide plus le lave-vaisselle.

– 2h00: Je me réveille en sueur. Je mets dix minutes à réaliser que je ne suis pas enfermée dans la soute.

– 2h15: Je respire avec mon ventre.

– 2h30: J'ai trop respiré avec mon ventre, j'ai envie de vomir.

– 4h00: Je vais regarder mes enfants dormir. Il sont tellement beaux. Ils ne se doutent de rien en plus. Je n'ai pas le droit de leur faire ça. C'est dégueulasse.

– 6h00: Je prie.

– 7h00: Le réveil sonne. Je ne veux pas partir. Je veux ma maman.

– 7h30: L'homme me serre fort il m'assure que tout va bien se passer.

– 8h00: Je dis au revoir à ma famille et à ma maison. Je m'envole ce soir à 19h00, je ne les reverrai pas.

– 8h01: Je réalise qu'à 19h00 il fera NUIT.

– 8h12: Alors là ça change tout. Il est hors de question que je monte dans un avion qui va décoller A L'AVEUGLE. Casse-cou d'accord, suicidaire, non.

A suivre…

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