Un incident mineur, de Léo Fourrier

Bon, je vous épargne mon couplet sur le mode « je suis débordée », mais sachez que si je ne viens pas très régulièrement ici ça n’est pas parce que je viens de développer une addiction au macramé (ce qui ne veut pas dire que les amateurs de macramé branlent la nouille toute la journée, bien entendu). J’ai bon espoir que les choses finissent par se calmer un peu, mais on ne va pas se voiler la face, ça n’est pas pour après-demain. Le pire c’est qu’hormis quelques instants de désespoir – « et finalement, pourquoi pas maréchal-ferrand ? » –  je prends un plaisir assez évident à tout ce qui entoure le processus d’écriture scénaristique, d’autant qu’on entre actuellement dans la phase des castings, des choix de décors, des cascades à prévoir, etc. Et je vous assure que c’est assez dingue, ce moment où ce hangar imaginé depuis mon canapé devient un lieu réel qui sera filmé et qui abritera tout un tas de scènes (plus géniales les unes que les autres, évidemment). Bref, sorry pour mon absentéisme. Mais je ne pouvais pas ne pas vous parler de ce premier roman, signé Léo Fourrier, Léo ayant été mon partner in crime à Fuveau il y a quelques jours. C’est amusant les rencontres. Nous avons fait le trajet Paris – Aix aux aurores dans la même voiture, mais bien sûr, à ce moment là, nous étions deux étrangers l’un pour l’autre. Et puis une fois rassemblés avec tout un tas d’auteurs au point de rendez-vous, où le car était censé nous réceptionner, nous avons commencé à échanger quelques sourires complices. Il faut dire qu’entre celle qui écrivait des polars et qui considérait manifestement que ça lui donnait le droit de gueuler comme un putois sur la pauvre organisatrice parce que le bus avait du retard, l’autre qui t’envoyait à la tronche son nombre d’exemplaires vendus comme une blogueuse l’aurait fait avec ses 100 K de followers ou encore les vieux de la vieille qui démarraient toutes leurs phrases par « chaque année c’est la même chose », histoire qu’on comprenne bien qu’ils n’en étaient pas à leur première invitation, eux, il y avait de quoi se mettre sous la dent en bitchage de tout genre. 

Du coup, une fois installés dans le car de la colo, on a rapidement fait plus que se lancer des regards éloquents. Et comme ça peut arriver dans ce genre de contexte, où l’on n’a finalement pas grand chose à perdre ou à gagner, très vite on s’est parlé comme si l’on s’était toujours un peu connus. Je vous laisse imaginer notre contentement quand on s’est rendus compte qu’on était voisins de dédicaces pour le reste du week-end – Franc, Fourrier, pas loin dans l’alphabet. Deux jours à ricaner, à médire gentiment, à s’émouvoir de ceux qui venaient nous voir, à redouter l’ire de madame furieuse assise justement en face de nous, à finir les coupettes et à parler de nos romans, de ceux qu’on venait de lire, de ceux qu’on rêvait d’écrire.

Forcément, j’ai très vite eu envie de lire son ouvrage, 22 ans et déjà chez Gallimard (et qui plus est publié dans « La Blanche »), ça intrigue. Et je n’ai pas été déçue. (Ah oui parce que toute cette digression n’est qu’une introduction à la substantifique moelle de ce billet, à savoir la critique ou plutôt l’éloge d’Un incident mineur, de Léo Fourrier.)

Il y est question d’un jeune homme, dont on ne connaitra pas le nom, figure de proue (de proie ?) des nuits gays parisiennes, qui devient, par l’entregent d’une amie, babysitter des petites « D’Orman », héritières d’une de ces familles aisées de l’Ouest parisien et soeurs de l’amie en question. Le héros d’un incident mineur pénètre alors l’intimité des occupants de cet appartement cossu, et plus particulièrement celle du père. S’en suit un jeu de l’amour et du hasard, une liaison dangereuse qui n’est pas sans rappeler celles si biens décrites par Choderlos de Laclos. Il y a du Pasolini, du Christophe Honoré et du François Ozon dans ce livre très cinématographique, au style saccadé, assumant le phrasé d’aujourd’hui – « Un verre, un shot, un rail », tel est le credo de notre héros. Il y a toute la modernité d’une époque où les relations humaines ne font pas toujours dans la dentelle et tout le classicisme d’un amoureux des mots et de la narration. Cela se lit comme on lit du Sagan, avec gourmandise et ce plaisir un peu coupable que l’on ressent à « voir » par le trou d’une serrure les ébats auxquels on ne sera jamais conviés. Dans ce libertinage interlope tout est relaté avec juste ce qu’il faut de recul pour ne pas tomber dans le scabreux ou le tragique.

En plus d’être un garçon charmant, drôle et plutôt très mignon (il pourrait être mon fils, je parle évidemment en tout bien tout honneur), Léo Fourrier est de la trempe des grands, me suis-je dit en refermant son livre. Je n’en suis que plus fière que mon Mission Hygge, véritable Ying du Yang de Léo (ou l’inverse, je ne sais jamais), ait côtoyé cet incident mineur, au talent majeur. Et je lui souhaite de n’être que le premier d’une longue liste.

Un incident mineur, de Léo Fourrier, Gallimard.

30 comments sur “Un incident mineur, de Léo Fourrier”

  1. MarieeLLe a dit…

    Merci Caro. C’est agréable de découvrir par ton intermédiaire et par ce hasard de voyage commun un très jeune écrivain.
    Et j’aime beaucoup la description parallèle des écrivains gens du communs râleurs et mesquins tels de vieilles mégères.

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  2. Caro d’ardeche a dit…

    Bonjour, je vais lire ce deuxième chef d’œuvre (après le tien). Merci pour ce nouveau conseil littéraire.
    C’est sans doute parce que je n’ai pas de fils, que je ne me suis pas dit la fameuse phrase en rencontrant mon amoureux malgré nos 21 ans d’écart. Et je ne suis pas une cougar (Je hais cette dénomination).

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  3. bea a dit…

    Oh ! mais oui ! je vois très bien ! il n’a plus les cheveux longs ? ou ils étaient attachés ! mais, je n’ai vu que toi ! 🙂 je rajoute sur ma liste à lire ! et revenez l’année prochaine à Fuveau !

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  4. MissCoquelicot a dit…

    Ton post donne envie de s’y plonger, j’ai toujours du mal avec les 1ers romans, si difficile à choisir chez le libraire…. pour quoi lui, pourquoi pas celui à côté…

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  5. MClaire a dit…

    Alors nous vous verrons peut-être un jour au salon du livre à Vannes, je suis fidèle à ce salon, il faut dire que j’habite tout près.
    J’aime rencontrer les écrivains, les écouter au forum, ils sont nombreux à faire le voyage en train jusqu’à Vannes. un régal chaque année. Je suis une grande lectrice, ma respiration, je donne mon avis sur une petite gazette une peu confidentielle, lue par mes amis scrabbleurs http://gazettemarieclaire.blogspot.com/. Je vais acheter ce bouquin, il devrait me plaire. Continuez à me distraire en écrivant vos billets.

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  6. Laurence a dit…

    Plutôt « maréchal-ferranT », non ?
    en tous cas, merci pour ce conseil de lecture, comme tous les autres que tu donnes, j´ai rarement été décue.
    Et je regrette infiniment tes conseils Mode « la Redoute », moi qui n´aime pas faire du shopping, tes conseils étaient une mine d´or. A quand le retour?

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  7. Sylvie a dit…

    Merci pour cette info….un nouveau livre à ajouter sur ma liste….
    J en profite pour te dire que je viens de dévorer ton roman….merci pour cette jolie histoire d’amitie et de rencontres si chaleureuses…

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  8. sigaellesi a dit…

    pfff tu écris si bien, on aurait toutes besoin d’une caro dans notre vie 😉 ce livre s’ajoute à ma liste. Merci 🙂 du coup tu as prévu une dédicace pour ton livre à lyon ou pas ?

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  9. AnneduSud a dit…

    Une bien jolie critique qui a dû le faire rougir. Je suis certaine qu’on doit encore rougir à 22 ans. Je vais de ce pas commander ce livre et puis je fais le vœu que vous soyez tous les deux en mai à la Comédie du livre à Montpellier !

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  10. Kaylee a dit…

    Léo Fourrier ! Rien qu’en lisant ton « Cela se lit comme on lit du Sagan », dont je suis une inconditionnelle absolue (ses romans ont été les premiers que j’ai lus au lycée en dehors des lectures imposées), je viens de filer sur Amazon pour télécharger l’extrait de son livre sur mon Kindle.
    J’avais déjà entendu parler de son livre au moment de sa sortie, en bien.
    Dommage que vous ayez perdu 3 heures de discussion avec le trajet aller vers Aix parce que vous ne vous connaissiez pas encore.

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  11. Melisse a dit…

    Salut Caro, salut le Rade,
    Oui ton texte donne envie de lire Léo mais aussi sa photo ou son œil frise de la blague qu’il fait…
    Mais bon, hein le Rade, tous les ans c’est pareil, à la rentrée t’ecris moins. En fait c’est tant qu’il fait beau gna gna gna que les derniers apéros dans le jardin passent avant ton blog gna gna gna.

    Mais c’est très bien et très drôle ton récit de Fuveau : tu emmagasine déjà les anecdotes et traits de ce nouveau monde avec tendresse et un peu d’ironie : je gage que ça va nourrir un scénario ou quelques pages d’un prochain livre. Et savoure cet été qui s’installe un peu à nouveau : ça adoucit bien septembre quand on peut se faire un peu de vie dehors entre deux trucs de rentrée.
    La bise Caro, la bise le Rade j’ai plein de trucs à faire : tous les ans c’est pareil, je m’organise mal à la rentrée.

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  12. Lor a dit…

    Mais c’est génial comme le hasard fait les choses! J’imagine trop les regards en coin qui permettent de se dire ‘ah, tiens, un allié, y’aura p’t-être moyen de se marrer avec lui/elle! »
    En tout cas, le dimanche soir, j’avais regretté de ne pas avoir plus prêté attention à Léo et son bouquin (quand j’ai vu que c’était dans la collection Blanche……… ahah)
    Un prochain investissement, très certainement!

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