Dans les commentaires du billet "s'assumer c'est quoi", une d'entre vous, Cassandre, a laissé ce mot:
Si demain
je croise un de ces types qui a terni mon adolescence avec ses moqueries et
qu'il me dit : "Ben attends, j'étais jeune, on est bête à cet âge-là",
je lui répondrai : "Non connard, toi tu étais peut-être gamin, mais moi
aussi, et quand tu balançais tes remarques blessantes, tu continuais
ensuite ta vie tranquille avec tes copains et copines, pendant que je
rentrais chez moi broyer du noir et avaler tout ce que je trouvais".
Ce
connard, il a aussi hanté mes jeunes années. J'ai grâce à lui vécu une
de mes plus grosses humiliations d'enfance. J'avais 12 ans, peut-être
13, c'était lors d'un camp scout (oui bon ben ça va, j'ai fait mon
outing sur la question, affaire classée).
C'était l'heure du repas, on était une trentaine, garçons et filles,
tous assis en rond autour de la gamelle de pâtes dégueulasses, quand le
subtile gars de deux ans mon aîné, s'est levé et a fait circuler son
béret dans l'assemblée en hurlant: "A vot' bon coeur, pour payer sa
cure d'amaigrissement à la grosse Caroline".
Je
me souviens très précisément de la honte qui a brûlé mon visage et de
mon ventre qui a menacé de rendre immédiatement les spaghettis que je
venais de m'enfourner. Honte d'autant plus douloureuse que j'étais
assise à côté de P., ma "target" d'alors, mon ouverture du moment,
quoi, et qu'on peut rêver mieux comme technique de séduction. Non
content de m'avoir, gratuitement, mise à terre, Mr subtil a continué
ses blagues bien grasses sur ma corpulence et ma laideur – tant qu'à
faire, hein.
J'étais
à l'époque assez grande gueule, mais comme aujourd'hui, plutôt dans les
couloirs. Il était en plus beaucoup plus grand que moi et avait la
réputation de ne pas hésiter à cogner quand on le contrariait. Un rêve
de garçon, quoi, aujourd'hui on l'aurait rangé dans la catégorie des
racailles, comme quoi tous ces trucs sur combien c'était mieux avant la
jeunesse, c'est ça, hein, des petits cons qui emmerdent les filles
victimes de truie mère nature, y'en a toujours eu et y'en aura toujours.
Je
n'étais donc pas très téméraire, mais là, c'en était trop, d'autant que
P., qui s'avéra des années plus tard totalement homosexuel – et fut le
premier de mes amours déçues de cet accabit(e) – essayait tant bien que
mal de faire taire l'autre abruti, lui demandant très poliment de me
laisser tranquille. Initiative certes courageuse mais qui je crois
m'humiliait encore un peu plus, d'autant que Mr Connard avait un peu
plus de flair que moi à l'époque et avait bien senti le caractère
"sensible" et non violent de P. Dire qu'il n'avait rien à branler de
ses tentatives maladroites mais néanmoins louables de sauvetage est un
doux euphémisme.
Bref,
malgré une grosse trouille des conséquences mais ne voyant finalement
pas comment ce repas pouvait être plus cauchemardesque, je me suis
rappelé le conseil avisé de ma mère après que me sois plainte d'être
sujet de moqueries dans la cour de récré: "Regarde bien ceux qui
t'insultent, tu t'apercevras que personne n'est parfait et que tu peux
toujours trouver toi aussi un défaut chez eux". Ok, ce n'était pas trop
du genre "tends la joue gauche", ce conseil, mais finalement, c'est un
peu revenu au même pour moi.
Je
m'explique. Mister connard, en plus d'avoir une grande bouche, était
également doté de deux feuilles de chou en guise d'oreilles, que sa
coupe à la militaire mettait particulièrement en valeur. Las,
j'ignorais que c'était son plus gros complexe, peut-être même la cause
profonde de sa méchanceté. Raison pour laquelle j'ai fini par répondre
avec un calme qui m'étonne encore aujourd'hui et sans mesurer l'effet
que ça produirait, que je pouvais aussi faire un appel aux dons pour sa
future opération de chirurgie esthétique, grâce à laquelle il pourrait
enfin courir sans avoir peur de décoller.
ça
n'a pas fait un pli, je me suis pris une gifle sonore et trébuchante et
si ses copains ne l'avaient pas arrêté, je ne sais pas ce qu'il serait
advenu de moi.
Très
bizarrement, je me souviens moins de cette claque que de la quête pour
ma cure. Par la suite, certes je rasais les murs dès que je le
croisais, de peur de m'en prendre une autre, mais j'avais finalement
acquis une petite notoriété de langue bien pendue qui m'a plutôt aidée.
Il
n'empêche que je n'ai jamais oublié. Les années passant, le hasard a
voulu que je recroise souvent mister grandes esgourdes. Il était ami
d'ami et se retrouvait fréquemment dans des soirées où j'allais moi
aussi. A chaque fois, j'avais envie de me ruer sur lui, de lui dire
toute la haine que je nourrissais à son égard, lui expliquer qu'il
avait bousillé mon adolescence, lui et un certain nombre de ses
homologues. Mais forcément, mon courage de gamine avait bien fondu, je
n'avais qu'une peur, me prendre le sarcasme de trop, celui qui me
laisserait au tapis. Alors je n'ai jamais rien dit, il me regardait de
loin, guoguenard, avec ses yeux de type qui peut aller loin, très loin,
trop loin.
J'ai fini par ne plus jamais le croiser.
Et
puis j'ai appris, il y a quelques mois, qu'il avait mis fin à ses
jours, quitté par sa femme, laissant deux enfants en bas âge.
Il
n'y a pas de morale à cette histoire, je n'essaie pas de dire que les
méchants sont toujours des gens qui souffrent, même si j'ai tendance à
le penser un peu.
Malgré
tout, malgré ma lucidité d'aujourd'hui, malgré sa fin tragique, je
crois que je ne pardonnerai jamais à ce garçon, parce qu'à partir de
là, je n'ai jamais pu être dans une assemblée sans craindre qu'un
crétin s'amuse à me traiter de grosse. Encore aujourd'hui, quand je
croise un groupe de mecs dans la rue, je me raidis, prête à recevoir
l'insulte, certaine que je vais y passer…
Voilà, c'était mon quart d'heure pathétique, ça vous apprendra.