Ces petits riens

Point n'est besoin ce matin de monter sur la balance. Tous les indicateurs du kilo repris ont viré au rouge:

Petite culotte: semble décidée à se coincer dans mes fesses. Disgracieux et désagréable

 

Pantalon: a rétréci de deux ou trois centimères. Impression "feu au plancher" des plus élégantes

 

Tunique: les coutures des manches sont entortillées autour de mes bras. Je ressemble à un saucisson

 

Seins: veulent à tout prix s'échapper de mon soutien-gorge. On pourrait croire que j'en ai quatre

 

Pieds: sciés. Rebondissent de mes chaussures

Ventre: en boudin.

Aïcha

Maman, tu sais combien d'enfants vivent dans la maison d'Aïcha ? Treize ! Tu te rends compte ? Y'a ses frères et soeurs et aussi des cousins. Et y'a que deux chambres dans sa maison !

Maman, Aïcha, elle dort tout le temps à l'école. La maîtresse elle dit que c'est parce qu'elle dort pas assez chez elle. Aïcha elle m'a expliqué que c'est compliqué de dormir avec tous les autres enfants dans sa chambre.

Maman, Aïcha, je l'aime bien, mais y'a des jours où elle me fait mal à force de me tenir par le cou. Je lui dit d'arrêter et de juste me donner la main mais elle dit qu'elle peut pas s'empêcher de me prendre par le cou, parce qu'elle m'aime trop. Mais moi j'en ai marre. En plus elle veut pas que je joue avec mes autres copines.

Maman, Aïcha elle veut que je l'invite. Mais moi j'ai pas très envie.

Maman, Aïcha elle a eu très peur à la piscine parce que devine quoi ? Elle était jamais allée dans l'eau.

Maman, Aïcha elle raconte que bientôt elle va aller habiter chez Marine dans sa maison et que Marine elle habitera dans la maison de la famille d'Aïcha. Tu crois que c'est vrai ?

Putain d’ADN

La nouvelle m'est tombée dessus ce matin. Un dimanche qui s'annonçait plutôt bien en plus. C'était sans compter ce couperet cruel lu dans "Marie-Claire" : on a tous un poids programmé génétiquement. La bataille contre les bourrelets est perdue d'avance. Programmée pour mesurer 1m60 et peser 70 kilos ? Et bien voilà, c'est comme ça, à prendre ou à laisser. Comme dirait Coluche, on nait tout égaux, sauf que certains le sont plus que d'autres. D'ailleurs, mieux vaut accepter son triste sort, parce que pour info, au cas où vous seriez tentés de lutter contre la nature, sachez que vous avez toutes les chances d'y laisser des plumes tout en prenant du poids…

 

En gros, en cas de régimes à répétition, fatigué de se voir imposer des restrictions, votre si sympatique patrimoine génétique décide d'en remettre une couche et se reprogramme comme un grand, tout seul, sans qu'on ne lui ait rien demandé. Inutile de préciser que ce reformatage se fait toujours dans le même sens et que le poids prédéfini ne fait qu'augmenter…

 

Putain d'ADN…

 

Ce qui m'étonne un peu, c'est que cette théorie – tout à fait crédible à mon sens – est défendue par des médecins qui par ailleurs font fortune en vendant des livres de régime et en se pointant à toutes les émissions du genre "J'ai décidé de maigrir". Et dans ces cas là, ils se gardent bien d'avertir les pauvres filles qui rêvent de perdre les cinq, dix ou quinze kilos qui les empoisonnent que rien n'y fera. Telles des sisyphes modernes, elle passeront leur vie à tenter de déposer en haut d'une montagne leur graisse qui n'en finira pas de leur dégouliner dessus dès qu'elle auront le dos tourné…

De mère en fille

Au square, ce matin, ma fille se suspendait à une barre parallèle et tentait de se hisser en tirant sur ses bras. Sous l'effet de la tension, ses muscles se sont tendus, Sous ses épaules, deux petites pommes dures sont apparues bougeant au fur et à mesure de ses mouvements.

En regardant son corps nerveux et fuselé se balancer, je me suis surprise à me réjouir de la voir si svelte.

"Avec un peu de chance, elle ne connaitra pas les affres d'une enfance trop ronde. Avec un peu de chance, elle ne pleurera pas le soir en pétrissant son ventre. Avec un peu de chance, cet obstacle là lui sera épargné", me disais-je.

Je sais que tout ceci est chimère. On ne peut pas empêcher ses enfants de pleurer. Et puis je sais aussi que si je me réjouissais ce matin, ce n'était pas que par altruisme maternel. Il y avait beaucoup de vanité et d'orgueil dans cette contemplation satisfaite. Cette si jolie fillette, après tout, n'est pas sortie de nulle part, pensais-je aussi…

Les enfants portent toujours en eux les rêves brisés de leurs parents. Je voudrais tant que cela ne soit pas vrai, je voudrais tant ne pas lui souhaiter la minceur éternelle uniquement pour conjurer mes traumatismes enfantins…

Petit homme

Ce soir, je touillais de la viande hachée en train de griller dans une poêle, sous l'oeil attentif de mon fils, apprenti cuisinier en herbe. Alors que je venais de lui refuser le droit de mélanger à son tour pour cause de plaque trop chaude, il a eu cette phrase magnifique: "Tu sais maman, je crois que je préfère que ce soit moi qui me brûle plutôt que toi".

Plus que ses mots, c'est le ton presque douloureux qu'il a eu pour les prononcer qui m'a saisie. Comme si cette constatation le bouleversait autant, peut-être même plus que moi. Comme s'il prenait soudain conscience que ma douleur lui serait réellement insupportable. Comme s'il réalisait que cet amour presque sacrificiel portait en lui une part de souffrance inévitable.

Petit homme, si tu savais comme moi aussi je préfèrerais dix mille fois mettre ma main au feu plutôt qu'une simple étincelle ne t'atteigne…

Oral de rattrapage pour les grosses

"-3 kilos avant le maillot". C'est la deuxième salve des magasines féminins. Après le "Spécial maigrir" du mois d'avril, il y a une session de rattrapage pour celles qui auraient loupé l'écrit. Donc là, il ne s'agit plus du tout de maigrir "progressivement, en mangeant de tout" – ou presque – mais de littéralement s'affamer pendant les trois semaines qui restent avant le lancement officiel de la saison du maillot…

 

Inutile de vous préciser que la ronde a déjà essayé ce genre de diète musclée. Les kilos finissent bien sûr par s'en aller, pour mieux revenir dès le premier barbecue du mois de juillet ou le deuxième apéro du mois d'août. Vous avez donc une petite chance de commencer l'été allégée et une forte probabilité de le terminer bien engoncée…

 

Le corps se venge toujours, n'oubliez pas…

Devoir de mémoire

La nuit dernière, ma cocotte a fait un cauchemar. Pas juste un mauvais rêve, non, un de ces cauchemars qui vous laissent en sueur dans vos draps trempés, le coeur battant la chamade et l'angoisse plantée en plein ventre. Un de ceux sur lesquels la magie d'un verre d'eau n'opère pas, pas plus que les calins d'une maman ensommeillée. Un vilain songe vicieux qui revient dès que les paupières se referment.

Après nous être réveillés trois fois, nous l'avons calée entre nous deux – ouh, c'est mal – deux parents épuisés sachant que même les plus odieux rêves d'enfants ne résistent tout de même pas aux gardiens farouches et belliqueux que sont un papa et une maman en manque de sommeil.

Le lendemain, ma fille ayant réussi à retrouver son calme, a réussi à me raconter le fameux cauchemar. "Il y avait ce monsieur très méchant, tu sais maman, qui voulait m'emmener loin d'ici pour me prisonnier et me tuer, avec plein d'autres enfants. Tu sais, "Adof Hiter"".

Adof Hiter… J'ai tout de suite mieux compris sa terreur nocturne. Moi même je n'apprécierais pas trop que le bonhomme vienne me rendre visite en pleine nuit.

Une question tout de même: pourquoi Adof Hiter ? A ma connaissance la seconde guerre mondiale ne fait pas encore partie du programme de troisième année de maternelle. L'explication est en réalité très simple. Il y a deux jours, alors que j'étais à Berlin  (!), une cérémonie du souvenir a été organisée dans l'école maternelle, en hommage aux nombreux enfants disparus pendant la rafle du Vel d'Hiv. Après la pose d'une plaque commémorative, les enseignants ont tenté d'expliquer ce qui était arrivé à ces petits. Sans se douter qu'"Adof Hiter" occuperait beaucoup de place dans la tête de leurs jeunes élèves…

J'ai bien tenté d'expliquer à ma fille que le monstre était mort et qu'il ne risquait pas de revenir de sitôt. Se souvenir était bien sûr essentiel, mais il ne fallait plus avoir peur. Terminé ma biche, on n'y pense plus, rideau. Elle m'a regardée perplexe, puis m'a lancé:

"Alors pourquoi ma maitresse nous a dit que si on n'y pense plus ça risque de se reproduire ?"

A ce moment là j'ai compris qu'elle s'efforçait, depuis la pose de la plaque, de garder tous ces enfants morts à l'esprit, de peur que l'histoire ne se répète…

Lui et moi dans la rue

"- Je suis aussi grosse que cette fille, là ?

– Laquelle ?

– Celle-là, là, juste devant toi.

– Ben, elle est pas grosse cette fille.

– Elle est pas grosse ? Tu rigoles ? Tu veux dire que je suis plus grosse qu'elle ? Super.

– Mais non, j'ai pas dit ça, tu n'es pas grosse non plus, c'est tout.

– Oui, et bien désolée, mais à partir d'aujourd'hui, navrée de t'annoncer que ton jugement ne vaut plus grand chose. Parce que si cette fille là, devant, là, n'est pas énorme pour toi, alors le fait que tu me trouves ne serait-ce qu'enrobée m'inquiète vraiment. Cette nana, elle a un cul pas possible, c'est incroyable que tu ne t'en rendes pas compte. Il fait deux fois le mien, merde !

– Putain, si tu sais qu'elle est plus grosse que toi alors pourquoi tu me demandes ? Je m'en fous, du cul de cette fille, à la fin ! Le tien me plait, c'est l'essentiel, non ?

– L'essentiel ce serait que tu me regardes vraiment. Je ne vois pas comment mon cul peut te plaire, c'est tout. Et je ne peux pas supporter l'idée que tu me trouves plus grosse que cette fille obèse. Je crois que je vais rentrer, je ne me sens pas bien."