Il s'appellent Germain, tonton René, Paul, Mathilde, Gisèle ou encore Antoine. Ils ont entre 25 et 59 ans et pourtant, ils sont tous nés dans la nuit de vendredi à samedi. L'un a gagné au quinté plus, l'une copiste et mysanthrope. L'un bouscule les gens dans le métro, un autre encore est un infidèle pris au piège de ses errances. Ils sont promis à une longue vie et viendront peut-être hanter les pensées des futurs lecteurs, ou peut-être ne survivront-ils pas à ces quatre jours d'atelier d'écriture.
Ils sont nos personnages, nés de nos imaginations plus ou moins fertiles. Ils appartiennent encore chacun à leur auteur mais montrent déjà des signes d'impatience et une volonté manifeste d'émancipation. Incroyable comme en quelques heures, alors que cela me semblait pour ma part improbable, nous sommes tous parvenus à façonner ces hommes ou ces femmes, leur inventer un passé, des goûts et des dégoûts, une relation à l'autre et même, parfois, un destin. Un processus totalement fascinant pendant lequel Bruno nous guide, en distillant avec une immense bienveillance quelques conseils l'air de rien.
Il nous dit par exemple qu'écrire, c'est avant tout ne pas écrire. Une manière de nous rappeler l'importance de ces heures passées à penser à nos personnages, ce qu'on peut nommer inspiration, réflexion ou maturation.
Il dit, paraphrasant le poète Pessoa, que les livres existent parce que la vie ne suffit pas.
Il dit aussi que les rituels d'écriture sont là pour donner une colonne vertébrale à cette drôle de forme de création, qui ne répond pas à beaucoup de normes.
Il cite l'exemple de cet écrivain qui ne pouvait écrire qu'assis sur le rebord de sa baignoire, l'ordinateur posé sur un minuscule bureau. De l'inconfort jaillissaient les mots. Il parle aussi de Nathalie Sarraute, qui rédigea tous ses ouvrages dans le bistro d'en bas de chez elle, saisissant parfois au vol les dialogues des habitués pour les intégrer dans ses histoires.
C'est sur ce point précisémment qu'il m'a le plus intéressée. Cette invitation à ne jamais négliger le hasard comme prescription d'écriture. A savoir, en cas de panne d'inspiration, en appeler au réel pour relancer la machine. Cela peut être le choix d'un mot dans le dictionnaire, le premier de la 14ème page, au pif, que l'on s'astreindra à placer dans la future scène. Ou bien un téléphone qui sonne opportunément dans le salon et qui vient également surprendre nos personnages.
Cela peut être un cimetière dont les pierres tombales fourniront des noms aux consonnances vintage à un écrivain en panne de patronymes. Certains auteurs, nous a raconté encore Bruno, poussent le processus jusqu'à ne pas inventer un numéro de téléphone, parcourant des annuaires pour dénicher celui qui conviendra le mieux, ou arpentant les bouquinistes pour trouver de vieilles plaques de rue qui donneront une adresse parfaite à leur héros.
Vous l'aurez compris, nous buvons les paroles de notre professeur, à tel point que parfois, j'en oublie personnellement que je suis là pour écrire. Je me demande de plus en plus si je ne suis pas meilleure "écoutante" qu'écrivaine. Une chose est certaine, il m'a donné envie de relire Balzac, Hemingway, Faulkner et tant d'autres. Ce qui à priori est une bonne chose parce que Bruno est formel: écrire, c'est aussi pour une bonne part, lire. Ça, j'ai bon.
Edit: Pour rappel, je suis donc pendant quatre jours un atelier d'écriture organisé par la Fondation Bouygues télécom "Nouveaux talents". Dans le cadre d'un partenariat avec la fondation, j'ai pour mission, outre de m'imprégner religieusement des conseils avisés de Bruno Tessarech, de relater ici cette expérience.
L'épisode #1 est ici.